jeudi 19 mai 2016

Suite de l'extrait précédent

"Bizarrement, je ne demande jamais si mes parents ont été prévenus. Je considère qu'avec l'éloignement et leur travail, il ne faut pas les déranger. A Hussein-Dey, pourtant, mes parents s'inquiètent. Pas la moindre nouvelle en presque deux semaines. Papa s'enquiert auprès de responsables d'Air-France de cette situation. Après recherches et appel téléphonique, il apprend mon hospitalisation sans recevoir aucun détail, mais, encore une fois, les médecins savent-ils ce que j'ai. Chacun de nous en a toujours douté.
14 juillet 1955: aujourd'hui, c'est la fête nationale. Dans mon lit d'hôpital, c'est une journée banale, comme les précédentes. Je m'apprête à passer les heures lentement, entre piqûres, soins et jeux avec ma petite voisine. La fin de matinée pourtant va me réserver une grande surprise. Entre onze heures et midi, je vois entrer mon père dans la chambre. Il se jette sur moi et m'embrasse. Il est en sanglots. J'ai aussi la larme à l'oeil. Il me demande si je pleure parce que je souffre. Non, je ne sens plus rien de mon corps sinon une impression de lourdeur. Rapidement, papa va reprendre la situation en mains. Il m'apprend qu'il a pris tôt le matin un avion. Il a fait le nécessaire pour embarquer alors que tous les sièges étaient occupés. Il a voyagé sur un siège annexe, près de la cabine de pilotage. A Paris, en ce 14 juillet, il est difficile de se déplacer. La vie tourne au ralenti. Il me dit qu'il va me sortir ce cet hôpital et me ramener à la maison. Par la suite, j'apprendrai que son arrivée à l'hôpital a été mouvementée. En se présentant dans le service où l'on m'avait placé, il découvre qu'il ne s'agit que d'enfants paralysés. Son anxiété, en traversant les salles et couloirs emplis de fauteuils roulants va accentuer son angoisse. Il manifeste au personnel soignant son intention de me ramener en Algérie. On lui répond que je suis intransportable et qu'il n'est pas question que je quitte l'hôpital. Le ton monte rapidement et, devant sa menace de faire venir la police, un responsable accepte de me laisser sortir. Papa devra seulement signer une décharge. Sur ces entre-faits, le directeur de la colonie, prévenu, arrive.
… …


Le départ de l'hôpital est très rapide. Papa et moi montons dans la voiture du directeur. Comme je ne peux pas marcher, il est obligé de me porter dans ses bras. Je ne suis pas très épais mais un peu encombrant quand même… Dans l'auto, papa se remet de la tension à l'hôpital. Avec le directeur de la colo, il évoque le déroulement des événements. La route est moins encombrée qu'à l'ordinaire aussi nous pouvons rouler normalement. Le directeur explique qu'il va devoir nous laisser très bientôt sur le bord de la route et que nous allons faire du stop pour essayer d'atteindre l'aéroport au plus vite. Je ne comprends pas pourquoi il ne nous emmène pas lui-même mais papa semble bien accepter cette situation, sûrement une obligation. La voiture stoppe près d'un espace en herbes, sur le bas-côté. On m'entoure d'une couverture et papa m'assoit dans l'herbe, adossé à un arbre, à quelques mètres de la route. Les deux adultes vont tour à tour se mettre sur le bord de cette route à grande circulation pour tenter de faire arrêter une voiture, l'autre me tenant compagnie. De longues minutes vont s'écouler. Arrêter une auto puis se faire accompagner à l'aéroport ne semble pas simple. Je ne saurais dire aujourd'hui le temps passé à attendre, mais il nous a paru bien long. Enfin, un conducteur, seul dans sa voiture, s'arrête. Après lui avoir exposé la situation, il dit à papa qu'il n'a pas à se faire de soucis et qu'il va nous déposer directement à l'aérogare. Pendant le trajet, papa apprendra qu'il s'agit de Monsieur Maurice Guigoz, Directeur Général de la société Guigoz. Je lui serai toujours redevable de son aide."

Monsieur Maurice Guigoz, petit-fils du fondateur du lait Guigoz...

 ...c'est lui qui est sur l'affiche.

Autre extrait


"L’année scolaire vient de se terminer. Dans 48 heures, ce sera le départ pour la France. Maman vérifie le trousseau, toutes les affaires sont identifiées à nos nom et prénom par les petites bandelettes cousues au revers des vêtements, nous sommes prêts au départ.
Le voyage se fait en avion, Air-France oblige. A l'aéroport d'Alger-Maison-Blanche, Michèle retrouve des copines et se joint à leur groupe. Je reste seul et suis très attentif aux consignes qui nous sont données. J’ai quand même un peu d’appréhension, je dois rester avec le groupe… Un appel est fait et nous montons dans un Bréguet deux ponts. C’est ma première colonie de vacances et mon premier voyage en avion. Nous nous asseyons dans le pont inférieur, réservé au fret, où des sièges ont été installés. Je suis sur l’avant, près d’un hublot. On attache nos ceintures et nos accompagnateurs nous distribuent des bonbons disposés sur un plateau. Il y a des chewing-gums Hollywood à la chlorophylle, très prisés des enfants, mais je les évite. Je n'aime pas cela. Mes parents m'ont tellement dit de ne pas mastiquer ce morceau de caoutchouc: "ton estomac travaille pour rien!". L’avion n’est pas des plus silencieux. Nous décollons, je m’endors.
La descente sur Marseille va me réveiller. Nous devons y faire escale. Il fait nuit. Avant de toucher le sol, je suis ébahi par les lumières qui balisent les côtés de la piste à distance régulière. Comme c'est beau! L’avion se pose et va se garer. Nous n'en bougeons pas. Nous restons dans nos sièges un long moment, puis c’est à nouveau le décollage et le départ pour Paris.
Tous les enfants sont rassemblés dans une immense salle de l'aéroport. Dans le brouhaha, on fait un nouvel appel. Je reconnais "Cabri", la monitrice qui s'occupe de nous au cours des sorties du jeudi à Alger. Cela me rassure. Michèle va rejoindre son groupe, elle vient m'embrasser et me dire au revoir. On m'appelle enfin. Je ne connais aucun des enfants qui m'accompagnent. C'est le départ pour la colo.
C'est la première fois que je quitte mes parents pour un aussi long séjour et pour vivre en collectivité. De plus Hussein-Dey me semble tellement éloigné de la région parisienne… Je suis un peu à l'étranger mais dans l'ensemble je suis content. Le voyage m'a paru long et très fatigant. J'ai beaucoup de difficulté à porter ma valise très pesante et encombrante et à m'organiser avec mes affaires. Dès l'installation dans la chambre-dortoir, je fais connaissance avec les futurs copains et je range mon linge dans l'armoire personnelle. Après la constitution des groupes, les activités traditionnelles de la colo vont commencer. Le cadre est très verdoyant et les promenades semblent être une activité récurrente. Dès la première marche en forêt, j'ai du mal à suivre le groupe et suis à la traîne. Malgré mes efforts et ma bonne volonté, je ne peux marcher plus rapidement et rejoindre les autres copains. Tout normalement, on va donc m'installer à l'infirmerie. Je suis en observation. Plusieurs jours vont s'écouler ainsi. Très rapidement, mes forces déclinent. Je dois faire des efforts insurmontables pour bouger. Je n'ai ni la force, ni même l'idée d'écrire à mes parents. Et puis un matin, essayant de me lever, je me sens très lourd, je gagne les toilettes en avançant avec de grandes difficultés. Mes pieds traînent au sol, dix centimètres tout au plus à chaque pas. J'avance en plaquant mes mains sur le mur pour tenter de progresser, je n’y arrive pas. Je me mets à quatre pattes. Je ne soutiens plus mon corps…
Les responsables de la colo prennent alors conscience de la gravité de la situation. Un médecin vient me rendre visite et je suis immédiatement hospitalisé."